Thibault : de Professeur d’Histoire-Géographie à Animateur-concepteur d’émissions de Radio
Interview de Rémi BOYER pour AIDE AUX PROFS
Quel professeur avez-vous été ?
« J'ai travaillé dans l'EN pendant 28 ans d'abord surveillant puis comme certifié d'histoire-géographie sur 3 académies et de multiples établissements, surtout ruraux. J'ai enseigné en collège, lycée général, technologique et une année en lycée professionnel. J'ai terminé ma carrière à l'échelon 10 par une démission avec Indemnité de Départ Volontaire en septembre 2017.
Depuis 2009, je faisais de la radio comme bénévole et par l'intermédiaire du directeur de cette radio, j'ai découvert la possibilité de percevoir des droits d'auteur. Mon émission musicale a été diffusée sur plus de 70 radios associatives en France, Belgique et Canada et lorsque j'ai vu que de simples émissions comme celles-là pouvaient rapporter entre 5.000,00€ et 8.000,00 € de droits annuels, j'ai décidé de créer une seconde émission, littéraire celle-là, avec deux amis enseignants. La minute parlée étant 5 fois plus rémunérée, les sommes engrangées en 2016 s'élevèrent à 19.000,00 €, toutes cotisations déduites.
Rapidement, la radio est venue concurrencer mon métier de prof et malgré le fait que j'étais satisfait de ma place, poste fixe en lycée, en pleine réussite en enseignement de type Freinet, j'ai osé franchir le cap de la démission. Il m'était d'ailleurs devenu impossible de mener les deux activités de front et cela se sentait dans mon enseignement. »
Pour quelles raisons ai-je eu envie de partir ?
« Toute ma vie, j'ai baigné dans l'école, même étudiant j'étais pion et à part une année de service militaire, j'ai éprouvé le sentiment du défi, je pensais légitimement que je pouvais faire autre chose. Avec le recul de ces deux années, je crois pouvoir dire aussi que je pensais être arrivé à un tournant dans ma carrière. Ce que je faisais n'intéressait personne, la déconsidération et les moqueries envers le métier ont sans doute leur part aussi.
Au fond, l'école n'est plus la grande affaire. Ce qui se passe en ce moment le confirme. Les droits d'auteur même fluctuants permettent de vivre en restant modeste. Et je n'ai besoin de rien. Je suis parti heureux du travail accompli et déçu de ce manque de reconnaissance, que même pas un supérieur n'a pensé à me retenir. »
L'administration vous a-t-elle aidé, ou a-t-elle tenté de bloquer votre projet ?
« Ni aide ni blocage. Lors de ma dernière inspection, mon inspecteur m'a dit qu'il trouvait mon travail Freinet "intéressant" puis quand je lui ai dit que je voulais partir, il a dit "ah oui"...
L'EN n'a jamais su déceler un bon prof et je ne parle pas seulement de moi. Ma Conseillère Mobilité Carrière était nulle, je lui ai présenté un dossier reconversion comme brocanteur car il était hors de question que je quitte l'EN sans même une poignée de main, auteur est un statut qui ne nécessite pas de créer une entreprise. Je l'ai baratinée pendant 10 mn avant qu'elle ne fasse des photocopies de mon dossier qu'elle a glissées dans une pochette en concluant que j'en savais plus qu'elle.
J'ai créé ma boite et l'ai gardé ouverte pendant 14 mois pour toucher la seconde partie de l'IDV. Je savais que cela risquait de ne pas fonctionner car je connaissais le marché et il était bien compliqué depuis la crise de 2008. Du coup, je fais des petits jobs en complément de mon travail d'auteur. Trois mois avant de signer ma démission, un type du rectorat m'a téléphoné en me disant de bien réfléchir, que c'était un acte grave et qu'on devait se rencontrer pour un entretien de 40 mn.
Une date fut fixée au rectorat en février 2017, à 11 h. A 10 h 58, une secrétaire vint m'informer que le type en question n'était pas là et qu'elle allait me faire signer les documents de démission. Elle n'était au courant de rien et avec elle, il y avait une autre femme qui "représente votre matière". Celle-là n'a pas ouvert la bouche. A 11 h 08, je rejoignais ma femme dans le bistrot d'en face. Fin de l’histoire. »
Quelle reconversion avez-vous réussi ?
« Aux yeux de la Sécu, je suis auteur. Je cotise y compris pour ma retraite. Je suis rémunéré en droits d'auteur pour des textes de présentation concernant l'émission musicale et en textes de création pour l'émission littéraire. Le but est d'avoir le plus de radios possibles mais le prix de la minute parlée dépend des sommes allouées et fluctuent d'année en année.
Mes revenus nets pour 2019 se montaient à 1500,00 € par mois environ, auxquels il faut ajouter entre 200 et 500,00 € par mois pour des petits jobs à côté (j'ai bossé un an pour un journal comme ARP), je vais trouver autre chose sachant que j'ai raté le poste de Père Noël en décembre, 2 h par jour pendant 24 jours :) Je verrai l'année prochaine. Le tuilage a été fondamental dans mon activité mais cela reste une niche et je navigue à vue mais j'aurai tous mes droits à 62 ans, deux jours après mon anniversaire, j'ai commencé à bosser jeune.
Sachant que les droits sont versés à N+2, il me reste en fait 6 ans à faire. L'émission musicale s'appelle "Le super son des 60's", elle est en vinyle et passe actuellement sur 48 radios. La littéraire composée de lectures scénarisées de textes écrits par les 3 intervenants s'appelle "Consonnances", elle est diffusée sur 28 radios en 2019. Elle se fait en collaboration avec les élèves en formation d'acteurs du Cours CHARMEY de Vannes qui lisent nos textes, je me charge du montage. Je récupère 70% des droits sur la littéraire."
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