Véronique, de Professeur de Lettres Modernes à Rédactrice pour de multiples projets
Interview de Rémi BOYER pour AIDE AUX PROFS
Pendant 13 ans vous avez été professeur de Lettres Modernes, qu'est-ce qui vous avait motivée pour le devenir, et avez-vous trouvé l'épanouissement dans ce métier, et comment ?
"D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu devenir prof de français : en CP, j’avoue que j’ai arrêté d’apprendre mes tables, pour cette raison !
Je ne sais pas pourquoi cette idée s’est si vite imposée à moi, j’aimais lire et écrire, tout simplement. En grandissant, je suis restée sur ce cap, parce que j’avais l’impression, en plus, que cela serait un métier « utile ». J’ai trouvé ce métier passionnant, dans tous les sens du terme, prenant, physiquement, psychiquement. Il fait souffrir, mais il procure aussi des joies intenses.
C’est un métier qui peut facilement vous « cannibaliser » parce que ce qu’on fait, ça n’est jamais assez. J’ai travaillé en REP ou dans des établissements qui auraient pu (dû ?) l’être. On a tendance à en faire toujours plus, pour tenter de rétablir la fameuse égalité républicaine, or ça ne peut pas suffire ! Mais il y a des moments de grâce, comme quand on fait Antigone en 3e et que l’élève la plus en difficulté de la classe (la plus rebelle, aussi, ce n’est peut-être pas un hasard) fait une analyse pertinente du texte !"
Quels ont été les projets qui vous ont le plus enthousiasmé et pourquoi ?
"J’ai créé et animé l’atelier journal de mon établissement avec une collègue qui se trouvait être aussi une amie. Nous avons eu un prix que nous sommes allés chercher à Paris, une vraie aventure pour les quelques élèves venus avec nous ! Nous avons souvent été sélectionnés pour des concours, nous avons ainsi assisté aux Assises du journalisme de Tours : les élèves journalistes ont reçu un prix des mains de Jamy Gourmaud ; l’année précédente ils avaient présenté leur initiative devant Harry Roselmack ! Toujours beaucoup d’émotions pour nous les profs, car on vit aussi les choses avec eux et à travers leurs yeux !
De façon générale, j’ai beaucoup apprécié travailler autour de l’information avec les élèves, car c’est une génération intéressée par l’actu ! J’ai souvenir d’une émission de webradio préparée avec la documentaliste, avec l’aide du CLEMI, autour de la thématique des migrants avec un travail sur le magazine d’actu en BD GROOM. Je crois que ça leur avait plu, en tout cas, ils étaient réactifs.
J’ai aimé les réécritures du Cid en version audio qu’ils ont faites, c’était souvent de bons moments même s’il fallait beaucoup les pousser. Les travaux de groupes donnaient des choses intéressantes, mais il faut beaucoup les aiguiller voire les éperonner, et ce sont souvent les mêmes qui bossent, donc ce n’est pas forcément LA solution !
J’aime, dans ce métier, qu’il faille toujours se remettre en question, expérimenter. J’ai essayé des cours basés sur la théorie des intelligences multiples, par exemple.
Il y a deux ans, j’ai ouvert un atelier d’éloquence, avec un concours inter établissements. Là aussi, il y a eu de belles surprises !"
Pourtant vous quittez le métier récemment, en septembre 2020 : pourquoi ? Est-ce que cela a été facile administrativement ?
"J’ai quitté ce métier parce que je ne supportais plus les injonctions paradoxales : ça rend fou. Ce qui est encensé une année est diabolisé l’année suivante.
L’éducation nationale est schizophrène : il faut faire des cours ludiques mais on doit quand même enseigner l’accord du participe passé avec le COD, il faut faire de l’oral mais la majeure partie des examens se font à l’écrit en France, (et les classes sont de toute façon trop remplies pour pouvoir faire ça bien), il faut évaluer mais pas noter mais les notes comptent quand même dans l’orientation, il faut laisser les jeunes libres mais à partir de la seconde ils sont foutus s’ils n’ont pas choisi les bonnes options, etc.
On nous parle de bienveillance à l’école, mais c’est un cache-misère des inégalités : ce n’est pas parce qu’on leur met des ronds verts que les élèves de REP réussissent mieux, même si, évidemment, il ne faut pas les décourager.
C’est bien plus complexe que cela.
Les besoins sont immenses ! Et on a l’impression qu’il n’y a pas de vraie préoccupation autour de l’égalité des chances, pas de vrai projet.
Côté profs, on subit un mépris sociétal intense (avec une image de privilégiés et de paresseux, voire de losers), et on n’est pas soutenus par la hiérarchie, donc ça commence à devenir difficile. Combien de fois j’ai eu honte de dire que j’étais prof, parce qu’on me disait que je ne connaissais pas la « vraie vie » ou que j’étais « toujours en vacances ».
Je n’ai jamais été inspectée en treize ans… Mais j’ai des tas de collègues qui sont ressortis très découragés par des inspections qui soulignent la petite erreur (« quoi vous avez parlé de PIEDS au lieu de parler de SYLLABES mais c’est inadmissible ») mais pas tout le boulot fourni… Je crois que, là-haut, à l’EN, beaucoup sont profondément convaincus qu’on est médiocres, qu’on en fait le moins possible…
Il faut qu’ils fassent attention, car à force de renvoyer une certaine image, en face, on finit par s’y conformer. On ne peut pas donner beaucoup et être traité comme un moins que rien, en permanence ! On a l’impression de se faire couper les ailes. Rien de ce qu’on peut faire n’est valorisé. Et par valorisé, je ne parle même pas de salaire : je supporte très bien l’égalité salariale, quel que soit l’investissement fourni, parce que c’est rarement chiffrable, ce qu’on peut faire de plus. Et que, quoiqu’on en dise, la plupart des profs restent très investis (jusque quand ?) parce qu’ils ne travaillent pas pour eux ni pour leur hiérarchie.
Les « formations » liées à la réforme du collège ont été, à cet égard, particulièrement démotivantes : le discours, c’était qu’on ne savait rien faire, qu’il fallait tout changer, mais on ne comprenait pas très bien comment. On comprenait juste qu’on faisait tout de travers.
Je n’ai pas eu trop de difficultés à obtenir ma dispo, parce que je ne suis pas dans une matière déficitaire, et que j’avais vu la DRH à plusieurs reprises."
Quelles satisfactions vous apportent vos nouvelles activités, et pourquoi ?
"C’est encore un peu tôt pour le dire, mais pour l’instant, ce que j’apprécie, c’est que ce que je fais ait un début, et une fin.
Je contribue par exemple à un journal jeunesse local, quand j’envoie mon article ou un dessin, c’est terminé. Il part à l’impression, je ne peux plus rien faire. (Le journal en question s’appelle FRITZ, il a eu les honneurs de France Info, si vous êtes de Tours ou alentours, n’hésitez pas à abonner vos enfants, c’est un tout jeune mag !)
Quand j’envoie une chronique à un magazine, même chose, il y a quelques allers-retours, mais au bout d’un moment, c’est fini !
Quand l’éditeur m’a envoyé la dernière mouture de ma BD (Le Cid en 4eB), je l’ai relue à m’en fendre les yeux, et terminé ! (J’avoue, il est resté une coquille dans la première impression : à vos loupes !)
Quand on enseigne, a fortiori dans des établissements défavorisés, on sort toujours de cours en se disant qu’on aurait pu faire mieux, que l’an prochain on fera comme ci ou comme ça. La préparation des cours, pour trouver le bon support, la bonne accroche, peut être infinie !
J’ai aussi l’impression d’être mieux considérée. Quand on est prof, les gens vous parlent un peu comme à un éternel enfant, c’est étrange, parce que le prof, pour moi, c’est un peu celui qui tient les deux bouts de la société dans les mains, c’est Superman en fait !
Et, tout simplement, je n’ai plus le sentiment d’être empêchée dans mon travail : on fait souvent cours à des jeunes qui n’ont pas envie d’être là, qui bavardent, interrompent…
Dès qu’on veut faire quelque chose d’un peu différent il faut justifier auprès des parents, de l’inspection…
Bref, je me sens infiniment plus libre."
Pensez-vous retourner enseigner ensuite ?
"Je n’en sais rien, c’était le métier de ma vie, mais les choses ne vont pas dans le bon sens."
Que conseilleriez-vous à un salarié du privé qui souhaiterait devenir professeur: le tester comme contractuel, ou passer le concours pour devenir fonctionnaire ?
"Dans la mesure où les concours vont se passer de plus en plus les doigts dans le nez, ça se discute !
Mais s’il n’a pas envie de banlieue parisienne ni de déménager, il vaut mieux commencer comme contractuel ! Pour la liberté que cela procure, là encore."
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