Le Gouvernement une nouvelle fois va annoncer une revalorisation du métier de professeur. Le terme "revalorisation" en dit long: il montre bien que le métier d'enseignant ne cesse d'être dévalorisé, et qu'il y a un besoin régulier de "rattrapage salarial", qui n'est jamais suffisant, malheureusement. C'est ainsi que depuis plus de 30 ans le pouvoir d'achat, en valeur constante, à échelon égal quel que soit l'échelon, a fondu de plus de 30% pour tous les professeurs.
Professeur est l'un des rares métiers de la Fonction Publique de l'Etat accessible à partir d'un Master2. C'est aussi, en catégorie A, l'un des moins bien payés en regard des primes dont bénéficient tous les autres corps d'administration.
Dans un précédent article nous avons décortiqué les grilles salariales des professeurs des écoles et certifiés, montrant que les professeurs sont bel et bien mal payés en regard de tous les corps de catégorie A qui bénéficient d'un régime de prime sans égal chez les professeurs: le RIFSEEP.
Dans cet autre article, nous avons comparé le revenu possible d'un fonctionnaire en regard de celui du contractuel. Ceux qui choisissent de devenir maîtres contractuels dans le privé sous contrat par concours, doivent s'attendre à plus de charges salariales qui leur donneront le sentiment de gagner moins (28% de charges) que le fonctionnaire (21% de charges). C'est une donnée qui ne leur est pas communiquée avant de passer les concours.
Dans cet article, nous avions attiré l'attention de chacun sur les salaires des débutants possédant d'autres Masters2 que celui destiné à enseigner. C'est sans comparaison possible avec un professeur: en 2 à 3 ans, chaque titulaire d'un Master2 qui a décidé de faire autre chose que d'enseigner, gagnera le salaire d'un professeur de plus de 30 à 40 ans d'ancienneté.
Dans ce contexte là, depuis 30 ans, l'inexorable et lente perte de pouvoir d'achat des professeurs est comme un serpent de mer : elle n'a pas fini de faire parler d'elle.
Avec l'inflation des années 2022 et 2023, qui a à peine commencé, la revalorisation envisagée par le Gouvernement pour la rentrée 2023 ne la compensera pas, sauf en obligeant les professeurs à accepter du travail en plus, c'est la subtilité de cette réforme. Il y aura forcément parmi les jeunes enseignants quelques dizaines de milliers pour l'accepter mais il serait étonnant que les enseignants de plus de 50 ans acceptent de faire 2h par semaine en plus sous forme de remplacement et de tâches diversifiées, selon les besoin de leur chef d'établissement, pour justifier une prime variable.
Le variable introduit dans le quotidien du professeur permettra au Ministère de l'Education nationale d'économiser des postes, et d'optimiser la durée de remplacement dans chaque établissement, d'un professeur absent. L'idée n'est pas nouvelle, mais toutes les expérimentations réalisées pour réduire cette durée, n'avaient pas réussi jusqu'ici.
Pour les volontaires signataires du Pacte, il y aura à la clé cette assurance d'être "remarqués positivement" par leur inspecteur. C'est ce que propose ce système: en adhérant à toute nouvelle réforme, chaque professeur trouve là la possibilité de s'engager pour la réussite de chaque réforme, de montrer sa loyauté, et de constituer alors le vivier le plus intéressant pour devenir chef d'établissement, inspecteur ou attaché d'administration.
Le Pacte Pap NDIAYE réussira, de toute façon, et les syndicats ne pourront pas s'y opposer.
Quels effets concrets faut-il en attendre ?
- La zizanie dans les salles des profs, entre volontaires, et opposants à la réforme, mobilisés alors par les leaders syndicaux oeuvrant dans l'établissement: c'est ce que cherche cette réforme. Diviser les enseignants entre eux, pour finir par discréditer ceux qui agissent au nom des syndicats. Eux proposent de faire grève régulièrement, ce qui soustrait à la paie mensuelle des jours de carence. Au final, lorsque survient l'augmentation souhaitée, chaque enseignant a perdu beaucoup d'argent, qu'il faudra du temps à compenser.
- la zizanie entre professeurs volontaires remplaçant leurs collègues, et devenus évaluateurs de la progression des apprentissages des élèves de leurs collègues de leur discipline d'enseignement. Cela peut réduire l'absentéisme dans un premier temps, avec des professeurs qui n'auront pas envie que leurs collègues aient connaissance du contenu de leurs cours. Mais cela peut conduire les professeurs qui ont des difficultés, à être poussés vers des dépressions ou des burn-out, par perfectionnisme ou stress plus important, alors que le Ministère de l'Education nationale possède à peine 62 médecins du travail pour la masse de ses professeurs.
- le renforcement du pouvoir des chefs d'établissement devenus attributeurs des possibilités de gagner plus, ou de stagner financièrement
- la réduction progressivement du pouvoir des syndicats, puisque la volonté de gagner plus proviendra du volontariat: diviser pour mieux régner, telle est la vocation du Pacte. En finir avec les revendications collectives des syndicats, pour permettre à ceux des enseignants qui le souhaitent, de gagner plus à travers le variable proposé.
Ce n'est pas le RIFSEEP mais c'est le même principe: une prime variable pour celles et ceux qui veulent s'investir toujours plus.
L'objectif du Pacte, sur le moyen terme, va être de réduire l'influence syndicale. La Loi DUSSOPT a déjà dessaisi les syndicats en premières CAPA et CAPN de la possibilité de défendre les dossiers de mutation et de promotion de leurs adhérents, réduisant le travail des commissaires paritaires élus. Il est fort possible que le Gouvernement en profite pour réduire le nombre de décharges syndicales en ETP, pour faire revenir une partie des élus syndicaux devant élèves, et regagner ainsi leur temps d'enseignement. Beaucoup sont en effet en "seconde carrière", avec des tâches en nette diminution depuis la loi DUSSOPT, et le déploiement de la "GRH de proximité" qui fait faire aux conseillers RH de proximité ce que les syndicats réalisaient pour les professeurs: une information pour leur demande de mutation par exemple.
Ce Pacte, c'est un nouveau coup dur pour les syndicats. Eux s'y opposent car ils savent qu'ils ont tout à y perdre en influence syndicale auprès des professeurs. Eux, verront midi à leur porte: ceux qui veulent gagner plus y souscriront rapidement. Ceux qui s'y opposent par principe, refuseront dans un premier temps. Mais lorsque chaque académie limitera le nombre de Pactes possibles, ceux qui auront refusé sous la pression de leurs leaders syndicaux s'en mordront les doigts, pour avoir refusé une occasion rare d'améliorer leur salaire mensuel.
Pour la hiérarchie, le Pacte va être un moyen de mieux repérer les professeurs qui veulent s'investir plus pour la réussite des enseignements de leur établissement. Assurer le remplacement des heures autrefois perdues, et contribuer au repérage des enseignants de l'établissement qui "en font le moins possible", en transférant à leur hiérarchie des informations sur le contenu de leurs cours. C'est un des risques possibles.
Le Pacte acquis pourra préfigurer une transformation du métier de professeur, en faisant progressivement sauter les horaires statutaires pour instituer comme le souhaitent les sénateurs et la Cour des Comptes, une "annualisation des services", en faisant travailler les professeurs 1.607h par an comme les agents administratifs.
Et c'est en parvenant à cet extrême du raisonnement que ces réformes achèveront toute idée de rendre attractif le métier de professeur. Car la différence de rythme aura disparu avec les agents administratifs, et parce qu'il n'y sera pas tenu compte de la différence de temps de préparation des cours et de correction des copies selon les disciplines et selon les niveaux d'enseignement.
Car ce qui rend encore attractif le métier d'enseignant, c'est la différence de rythme de travail, avec une partie de son horaire chez soi. Toutefois avec le développement du télétravail, cet avantage d'autrefois des enseignants a disparu pour les fonctions occupées par les cadres.
Le Pacte, en cela, ne va pas redonner d'attractivité au métier d'enseignant. Il va juste y accroître le turn-over, dans le contexte difficile du papy boom et de la baisse drastique du taux de chômage dans de nombreux métiers dont les salaires sont plus valorisants que ceux du métier d'enseignant.
Le Pacte, c'est juste un pari pour un gouvernement qui manque d'argent pour revaloriser a minima toute une profession qui en a beaucoup perdu depuis 30 ans. La perte des centaines de milliers d'euros perdus par chaque professeur durant cette période de perte de pouvoir d'achat ne sera jamais compensée.
Écrire commentaire