En consultant la dernière circulaire sur le CPF de l'académie de Paris, nous l'avons soumise à Didier COZIN, expert en la matière, pour évaluer si les professeurs sont bien traités à ce niveau.
Didier COZIN a été PDG de AFTLV en agissant auprès de nombreux acteurs nationaux de la formation professionnelle, formant des dizaines de milliers de salariés chaque année pour de grandes entreprises. Il était l'un des intervenants avec Jean-Michel BLANQUER lors de notre 3e colloque du 15 juin 2016. Au début de sa carrière, Didier COZIN a travaillé plusieurs années comme consultant aux côtés de Jacques ATTALI.
Didier COZIN, vous avez autrefois été professeur dans l'Education nationale. Depuis votre départ en 2006 quel regard portez-vous sur son évolution en matière de formation initiale et continue des professeurs ?
J’ai des contacts limités avec l’éducation nationale depuis mon départ en 2006, je constate surtout que les grandes tendances qui prévalaient quand j’étais prof (déclin de l’autorité du maître, mauvaise ambiance de classes, enseignants abandonnés par l’institution, manque de ressources pour faire face à la difficulté d’enseigner...), ces grandes évolutions (post soixante-huitardes) se renforcent et le fossé s’agrandit entre le pays, ses attentes et ses besoins et l’institution scolaire (qui fonctionne encore peu ou prou comme du temps de Jules Ferry).
De 2010 à 2023 a été exigé un Master2 des futurs professeurs alors que l'Etat ne peut pas leur assurer plus de 1,1 Smic en année de stage, 1,3 Smic ensuite. Qu'aurait-il fallu faire en 2010 à la place ?
L’époque où l’école fonctionnait le mieux c’était avec les écoles normales d’instituteurs quand ceux-ci étaient recrutés dès la fin du collège et formés avec pour principal horizon l’école primaire (y compris dans les CEG où ces enseignants ne faisaient pas des disciplines une fin en soi mais un moyen au service de l’épanouissement de l’élève. Ils privilégiaient les méthodes qui avaient fait leurs preuves dans l’enseignement primaire. L’idée d’une montée en compétences (théoriques) des professeurs pour en faire des petits profs de fac (face à des classes au niveau de plus en plus faible) ne pouvait qu’échouer : découragement des enseignants comme des élèves.
Comment considérez-vous cette idée du gouvernement de reculer maintenant l'entrée du métier en Licence ?
La France se distingue de la plupart des grands pays en ayant rallongé à outrance la durée et le contenu de ses études (par exemple en médecine) et elle n’est parvenue qu’à décourager et dénaturer les vocations. Revenir en arrière et recruter avec moins de diplômes est indispensable face aux difficultés de recrutement mais aussi aux évolutions du métier, tenant de plus en plus de l’animation sociale et éducative plutôt que de la transmission de connaissances d’un haut niveau.
La formation initiale des professeurs doit-elle rester la chasse gardée des universitaires ? Pourquoi ?
Un des problèmes de la formation des fonctionnaires (et notamment des profs) c’est que l’Etat pense savoir et pouvoir tout faire. Du coup le serpent se mord la queue et faute d’ouverture vers les entreprises ou hors éducation le monde éducatif pratique l’entre-soi et n’est plus séduisant.
Financièrement il s’agit d’un jeu d’écriture comptable : l’éducation nationale fait semblant de financer des formations qui reviennent dans le giron public via les facs (dans un grand chaudron appelé «éducation et formation initiales »).
Quelles formations continues seraient utiles aux professeurs en priorité selon vous ?
Les profs devraient passer par 1 ou 2 années de travail dans le secteur privé avant d’enseigner afin de faire bénéficier leurs élèves d’une expérience hors école. Pour les formations utiles cela pourrait être très varié : depuis la psychologie, la gestion du temps ou de l’agressivité, la sophrologie comme évidemment tout ce qui participe de la culture numérique (comment enseigner avec et au temps de l’IA ?)
Que pensez-vous de la circulaire de l'académie de Paris sur le CPF (ci-dessous pour nos lecteurs) quant à l'usage réel du CPF de chacun ?
Cette circulaire (dont je viens de prendre connaissance) est intéressante à plus d’un titre.
1) Le résumé théorique du CPF dans la fonction publique est très bon, tous les aspects sont abordés et expliqués simplement.
2) Pour la pratique de la demande et du départ en formation CPF ça coince par contre sur au moins 4 points:
a. Le plafond du cout des formations : ce plafond total de 1 500 € (on suppose TTC) est raisonnable pour une année scolaire mais ce qui l’est moins c’est le plafond horaire de 25 € par heure.
Dans l’exemple de l’académie de Paris pour le bilan de compétences (coûtant en général de 1 500 à 2 000 €) l’Académie ne prendrait en charge que 600 € (24 heures X 25 €/h) c’est-à-dire que bien que disposant d’un plafond annuel de 1 500 €, le prof voulant un bilan de compétences devrait payer de 900 à 1 400 € de sa poche (en avançant de plus le prix de la totalité de la formation au risque d’attendre des mois ou des années le remboursement de sa part).
b. L’avance des fonds formation par l’agent est tout à fait anormale. La moindre des choses serait que dès l’accord CPF obtenu un chèque formation soit libellé à l’ordre de l’organisme de formation afin qu’aucune somme importante ne soit réclamée au fonctionnaire.
c. La fenêtre de 4 semaines pour le recueil des demandes de CPF est parfaitement aberrante (et contraire à la loi) : du lundi 27 mars 2023 au vendredi 21 avril 2023. Cela veut dire qu’un prof qui voulait utiliser son CPF durant l’année scolaire 2022-2023 devait faire sa demande courant avril, attendre 2 mois une réponse et au mieux se former au cours de l’été 2023 ou à la rentrée de cette même année.
La circulaire de 2017 n’encadrait absolument les demandes durant un petit mois, se contentant de donner à l’administration 60 jours pour répondre. Restreindre ainsi la période de demande (une courte fenêtre de 4 semaines) c’est évidemment limiter drastiquement les demandes sur l’année en cours (on peut avoir besoin de se former dès la rentrée de septembre quand on est prof) tout en incitant les profs à se former durant l’été (ce qui n’est peut-être pas une mauvaise chose par ailleurs).
d. Les frais annexes (déplacements, repas, éventuel hébergement) ne sont pas pris en charge ce qui là encore fera monter fortement l’addition pour l’intrépide demandeur de CPF.
En résumé l’administration a trouvé la parade pour respecter les textes tout en minimisant le nombre de demandes de CPF dans l’année (en 2021 selon Sud Education il y aurait eu 1 500 CPF activés à l’éducation nationale soit environ 1 pour mille agents).
Il faut savoir que le plafond de 150 heures de CPF (mêlées avec les anciennes heures de DIF en 2017-2018) est atteint pour peut-être 80 % des agents (les agents entrés en 2018 ou avant ont tous atteint ce plafond).
La plupart des agents perdent donc potentiellement 25 heures de CPF par an puisque les compteurs CPF bloquent à 150 heures, il s’agit donc pour eux d’une perte de chance.
Du DIF au CPF, pensez-vous que le gouvernement ait amélioré le champ de la formation des salariés ?
Il faut distinguer le CPF du public et celui du privé.
Dans le secteur public le CPF est l’exacte reproduction du DIF (Droit Individuel à la Formation), se contentant de passer de 20 à 25 heures annuelles et d’un plafond de 120 à désormais 150 heures.
Dans le secteur privé la monétisation du CPF a complètement changé la donne : l’employeur est quasi exclu de la formation de ses salariés, ceux-ci doivent se débrouiller seuls (ou avec un bien incapable conseiller en orientation professionnelle) face à une offre pléthorique, très coûteuse (des coûts augmentés de 60% en quelques années) et dont l’essentiel est proposé en distantiel (avec toutes les déconvenues, les escroqueries et les faiblesses possibles de l’E-learning).
Si l’administration de l’éducation nationale a su très bien faire le gros dos et la sourde oreille face aux besoins individuels de formation les salariés du privé ne sont guère mieux lotis du fait que le CPF n’est financé qu’à hauteur de 8 % des sommes nécessaires à sa généralisation dans le privé (800 millions de cotisations employeurs pour 10 milliards d’Euros de crédits annuels de CPF pour les 20 millions de salariés du privé).
Récemment le gouvernement oblige les salariés à financer 30% du CPF qu'il leur avait pourtant octroyé à 100% auparavant. Que pensez-vous de ce revirement ?
Ce projet d’un « ticket modérateur » en formation de 10 à 30 % du prix de la formation n’est pas encore décidé, l’Etat pourrait ne demander qu’un montant symbolique de quelques dizaines d’euros (dernier interview d’Olivier Dussopt) . Le mal est fait de toute façon et un travailleur illettré gagnant le SMIC ne paiera pas 30 ou 50€ pour se former.
Gabriel Attal à la rentrée 2023 a demandé que les formations des professeurs ne se déroulent plus pendant leurs cours : quelles conséquences selon vous pour les services qui conçoivent ces formations, et sur les personnels qui les réalisent ?
Il sera difficile à l’avenir de justifier les 8 semaines de vacances d’été des profs si ceux-ci ne donnent pas un peu de leur temps libre pour se former (surtout si c’est dans le cadre d’un projet professionnel d’évolution ou de reconversion, financé tout ou partie par leur CPF).
Si vous étiez conseiller de Gabriel Attal, que lui proposeriez-vous pour l'optimisation du CPF ?
S’inspirer de la circulaire CPF 2023 de l’Académie de Paris tout en l’améliorant:
- 1 500 € (Hors taxe) de plafond de dépenses CPF par an
- Un accord CPF de principe (sauf motivation écrite et explications détaillées du refus d’un financement CPF)
- Une réalisation avec un mois de délai de prévenance mais sur le temps des vacances scolaires
- Une ouverture complète sur tous les organismes de formation de France (publics comme privés)
L'Education nationale subventionne chaque année son opérateur public, le Cned, à hauteur de 31 millions d'euros environ. Trouvez-vous cela normal, alors que le Cned se positionne souvent sur le champ concurrentiel ?
Ce problème se pose aussi avec les Gretas qui sont fortement subventionnés par le ministère de l’éducation nationale (ils sont très nombreux à perdre de l’argent) et qui interviennent presque tous sur le champ des formations concurrentielles et donc du secteur privé (soumis à des obligations comme Qualiopi, le règlement de 20 % de TVA et ne pouvant perdre de l’argent sous peine de liquidation)
Que pensez-vous de l'idée que l'Education nationale pourrait, puisqu'elle investit ce budget chaque année pour aider le Cned à fonctionner, proposer 30% de remise une fois par an sur une formation de leur choix, à ses personnels ?
Le CNED devrait déjà connaître ses coûts (ce qui n’était encore récemment pas le cas me semble-t-il) avant de proposer ses tarifs.
Avec le développement du télétravail, et l'activité du Cned, que serait-il préférable : concentrer toutes les formations utiles aux personnels de toutes les académies vers le Cned en supprimant les services académiques de formation pour adultes, ou supprimer le Cned pour transférer ses formations aux académies ?
Il faut de toute façon éviter ce type de doublons publics, très nombreux et très coûteux.
Élisabeth Borne Premier Ministre, cherche à réaliser des économies : quelle forme de fusion de Canopé, du Cned, et des services de formation académiques pourriez-vous suggérer à l'Etat pour éviter tous ces doublons ? Combien de milliards économisés ?
Je l’ignore par contre j’ai appris récemment que près de 250 000 personnes non enseignantes travaillaient à l’éducation nationale. Si l’on rationalisait, supprimait les académies et automatisait les services administratifs (sur le modèle de ceux du trésor) on pourrait sans doute employer 2 fois moins de personnels administratifs et mettre plus d’argent dans l’école primaire (la priorité numéro une)
Quel est l'avenir du CPF selon vous d'après les dernières décisions du gouvernement ?
Il y a 3 possibilités avec le CPF d’ici 2025 (qu’il soit privé ou public)
1) Une mort lente à force de complexité, de manque de financements et d’ajouts ridicules comme le permis moto, bateau ou voiture,
2) Un abandon en 2025 (ou 2027) pour un nouveau dispositif encore plus « généreux » (dans le discours) et encore moins effectif (dans les faits),
3) Une réforme complète avec une double cotisation employeur + salarié à hauteur des 500 € annuels (du privé) et une ouverture totale aux formations dont ont besoin les travailleurs (y compris en sophrologie ou via des médecines douces)
Qu'avez-vous pensé de la loi DUSSOPT ? Stanislas GUERINI Ministre de la Fonction Publique pense déjà à inscrire son nom dans une 3e loi de transformation de la Fonction Publique : qu'en pensez-vous ?
Je n’ai pas lu en détail le contenu de la loi DUSSOPT mais de toute façon tant que les syndicats tiendront l’éducation nationale, que la fonction publique ne sera pas intégralement réformée, que les travailleurs dépendront de dizaines de statuts, notre pays s’enfoncera dans le mauvais travail, le manque de compétences et l’incapacité à s’adapter à un monde qui n’est plus celui de la IIIème République.
Didier COZIN à notre 3e colloque du 15 juin 2016
Didier COZIN expliquant le DIF le 15 juin 2016
Parcours de carrière de Didier COZIN
L'une de ses dernières interviews en 2022
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