"Journal d'un prof à la gomme" de Fred LECLERC est paru en Juillet 2024 et nous avons parfois du retard pour donner nos impressions, car nous recevons beaucoup d'ouvrages que nous lisons tous, et notre équipe n'est pas pléthorique.
Fred LECLERC est un jeune publicitaire talentueux qui subit un licenciement et se sent sensibilisé par l'assassinat de Samuel PATY, comme des dizaines de millions de citoyens de tous pays horrifiés qu'on puisse couper la tête au savoir d'un être humain de bonne volonté qui vous enseigne l'esprit critique, synonyme de liberté de pensée et d'expression.
Alors il décide d'y aller, de passer un concours sélectif de la ville de Paris, et l'obtient, pour n'y rester que 4 mois, tellement cette expérience fut à des lieues de tout ce qu'il avait pu imaginer.
Il décrit en bande dessinée dans son ouvrage la vérité du terrain, celle que tous les professeurs vivent lorsqu'ils sont affectés dans les écoles, les collèges des quartiers populaires, des milieux pauvres: des enfants qui partent rarement en vacances, des enfants que la vie a maltraités à l'école comme à la maison. Non, ces enfants ne sont pas nés avec une "cuillère d'argent dans la bouche", on n'est pas à l'Ecole Alsacienne ni à Stanislas.
Ces enfants, ils bougent, ils sont nombreux (28, l'ouvrage présente aux pages 80-81 une excellente revue des 28 élèves de la classe, une manière pour l'auteur de bien faire comprendre que le métier de professeur, ça n'est pas juste d'enseigner, mais bien de s'adapter à ces 28 personnalités, et de savoir gérer autant les individualités, dans toute leur sensibilité comme dans leurs aspects de personnalité naissants les plus durs, que de gérer le collectif, et de le conduire là où les "sacro-saints programmes" exigent de le faire).
Alors les élèves, quels que soient leur âge, trouvent rapidement les failles de l'enseignant, du nouvel arrivant, quel qu'il soit. Et n'avoir pas été formé, c'est un sacré handicap, qui écourte rapidement toute velléité de réussir dans ce métier si complexe, par la dimension humaine qui l'englobe, qui l'envahit jour après jour.
Notre portail "DEVENIR PROF" est un site de prévention du métier de professeur, pour éviter de se tromper de voie, pour éviter à ceux qui pensent "pouvoir sauver des enfants", "pouvoir se rendre utile", de tomber de très haut une fois "jeté dans la cour des lions", pour éviter de souffrir, de ternir leur innocence, leur insouciance, de tuer leurs rêves d'un monde idéal.
Et ce livre, "JOURNAL D'UN PROF", c'est l'illustration parfaite de tout ce qui produit, en peu de temps - 4 mois d'école - la désillusion, entre l'antienne de tous les ministres de l'Education nationale qui n'ont jamais enseigné de cette manière et ne supporteraient pas le 1.000e de ce que subissent les professeurs au travail, et la réalité du terrain.
Les élèves vous testent, tentent des subterfuges pour obtenir par un sourire, une supplication, tout ce dont ils ont besoin, et comme le dit l'auteur dans l'interview que lui a consacrée Emmanuel DAVIDENKOFF pour SQOOL TV, "il faut une infinie patience dans ce métier".
Au fil des pages le lecteur est plongé dans la réalité de la classe:
- cette administration hors-sol à la posture peu souriante, "porte de prison" lorsqu'on en vient à solliciter quelque chose, avec des formateurs peu avenants, qui lancent des éclairs par leur regard aux jeunes professeurs qui n'écoutent pas leur doxa,
- ces enfants qui n'ont aucun respect les uns envers les autres, générateurs de possibles harcèlements, les adultes pensant qu'il suffira de leur donner un cours ou de venir une heure leur faire un discours pour réparer les choses (illusion),
- ces élèves qui profitent du moindre relâchement du professeur, de la moindre de ses failles personnelles. Le professeur est partagé entre l'autorité juste, ferme, et l'envie "d'être sympa", et tous les professeurs le savent bien : de la rentrée scolaire aux congés de Toussaint, pendant 7 semaines, il ne faudra rien lâcher, quitte à desserrer la vis après, pour éviter de passer une année d'enfer, car les erreurs faites dans ce contact important avec la classe et toutes ces individualités sont difficilement rattrapables.
Nous suivons vignette après vignette les moments de découragements de l'auteur et ces instants de joies où il se sent utile quand un enfant exprime plus qu'un autre sa reconnaissance, car c'est bien entendu spontané, pas sur commande, et il peut arriver que cette reconnaissance ne vienne jamais.
L'Education nationale cherche des professeurs, elle ne cesse et ses syndicats aussi, de se demander "comment faire", mais il faudrait commencer tout simplement par différencier la formation que l'on donne aux futurs professeurs, selon leur propre expérience professionnelle. On ne gère pas de la même manière en formation des étudiants qui n'ont jamais travaillé, et des salariés qui ont eu des responsabilités d'équipe, et qui ont conduit des projets importants et ont été autrefois nettement mieux rémunérés qu'un prof.
Alors le prof dérape, il s'énerve parfois, et se sent mal de tomber dans ce ravin des reproches, des cris, traumatisant ponctuellement ses élèves. Enseigner au 21e siècle n'est pas de tout repos. Alors que le système exige de "ne pas vous laisser envahir par vos émotions" en situation de travail dans votre contestation des injonctions hiérarchiques paradoxales, la classe c'est en permanence la gestion des émotions, et il est évident que toutes les personnalités n'y sont pas préparées.
S'il y a un livre qu'il faudrait mettre entre toutes les mains des futurs professeurs, d'où qu'ils viennent, hommes et femmes, c'est bien celui de Fred LECLERC, car il a le mérite d'avoir dessiné tout ce qui fat exactement le quotidien d'un professeur du 21e siècle: ses doutes, ses peurs, ses insomnies, son temps de travail chronophage, son sentiment de ne jamais bien faire, de faire assez, cette culpabilité constante de ne pas ne sentir assez à la hauteur, cet isolement parfois dans le collectif illusoire des professeurs, où chacun gère ses problèmes tout seul.
Ce bouquin est à faire lire à tout Bachelier avant même qu'il ait l'idée d'aller apprendre à l'Université la théorie d'une discipline, puisque le principal débouché sera l'enseignement, ou les concours administratifs.
Il est à offrir à tous ceux des salariés qu'être professeur, "c'est cool", "c'est un boulot de feignasses", "qu'ils ont trop de vacances"... car vignette après vignette, subtilement, Fred LECLERC dégoupille toutes les grenades que la société envoie continuellement à ces 867.000 professeurs qui ont la charge de former les adultes de la société de demain.
Fred LECLERC est retourné à son métier de publicitaire et certainement qu'il aura toujours une pensée pour ces professeurs qui passent toute leur vie dans ce métier si exigeant au quotidien et si mal payé, si mal valorisé par la hiérarchie et les ministres.
C'est ce que l'on pourrait souhaiter de mieux au 21e siècle durant ce papy-boom qui va durer encore 25 à 30 ans: que beaucoup de salariés du privé, comme lui, viennent tester entre deux emplois du privé, ce métier, comme une expérience "humanitaire" et "humaine", juste pour se rendre compte à quel point les professeurs en 2025 ont du mérite de "tenir le cap", et de rester toute leur vie dans un quotidien stressant, oppressant, sans une once de reconnaissance, sauf pour les "bons petits soldats" qui cirent les bottes de leur inspecteur ou de leur chef d'établissement, avec la ferme intention de le devenir à leur tour.
BRAVO L'ARTISTE !
JOURNAL D'UN PROF A LA GOMME, de Fred LECLERC aux Editions "La Boîte à Bulles"
Ci-dessous, l'interview de Fred LECLERC sur SQOOL TV par Emmanuel DAVIDENKOFF.
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